jeudi 6 octobre 2022

Italie - Alberobello la singulière

Le village d'Alberobello, dans les Pouilles, au sud de l'Italie, est un des plus célèbres du pays, à juste titre inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l'humanité par l'Unesco. C'est même un village unique au monde, avec son architecture de trulli si particulière, même si toute la région en possède. Ces habitats traditionnels en pierre sèche sont vraiment la marque de tout le secteur autour de Bari. Les trulli peuvent être considérés comme les ancêtres des habitations modulaires qui fleuriront au XXème siècle, avec un assemblage mitoyen de plusieurs pièces. Remarquablement conservés dans le village, ils se visitent  facilement car ce sont souvent aujourd'hui des boutiques de souvenirs (dans les rues principales tout du moins). Bien entendu c'est très touristique, mais en même temps on comprend pourquoi, il y a un charme fou dans ce village, avec ces alignements blancs sous un ciel d'un bleu limpide. Une vraie carte postale. Et vraiment la sensation de visiter autre chose, d'unique.


trulli Alberobello
Simplicité et harmonie des formes : les trulli se ressemblent tous, avec leur grande épaisseur des murs, de toutes petites ouvertures et un toit conique recouvert de dalles calcaire, la pierre omniprésente dans la région. Au sommet, on trouve souvent des symboles ésotériques, on y reviendra plus bas.  

 
Ces constructions en encorbellement, on s'en doute bien, ne remontent pas à hier. En réalité, la tradition est héritée de la Préhistoire, même si celles que l'on voit de nos jours sont essentiellement du XVIème siècle. Dès le Xème siècle, de petits campements ruraux éparpillés étaient présents aux alentours d'Alberobello, puis ont évolué pour former des villages. En 1550, Alberobello ne comptait qu'une quarantaine de trulli. C'est au siècle suivant que le village s'est véritablement agrandi, jusqu'au XVIIIème. On en compte aujourd'hui 1500. Les raisons qui ont poussé les habitants à adopter cette architecture font toujours débat chez les historiens, de même que l'origine du nom (Albero c'est un arbre, car il y avait une vaste forêt à cet endroit, mais bello peut être à la fois "beau" en italien moderne, mais "guerre" en latin ; d'après une légende, dans cette vaste forêt se trouvaient de nombreux "arbor belli", arbres de guerre, dont le bois servait à fabriquer des armes à feu). 

trulli Alberobello
Des ruelles de carte postale. Notez sur le toit conique de gauche un des nombreux symboles que l'on trouve sur les maisons peintes à la chaux. 

Penchons-nous un peu sur cette architecture si particulière. Dans le monde méditerranéen, la forme ronde de certains habitats remonte loin dans le temps : en Grèce, les tholos, comme le célèbre trésor des Atrées de Mycènes, en témoignent. La plupart des archéologues et historiens semblent s'accorder sur une origine exogène des trulli : en d'autres termes, l'invention n'est pas locale, mais serait une reprise d'une architecture déjà employée ailleurs, notamment au Moyen-Orient. 

La zone des Pouilles est parfaite pour de telles constructions en pierres sèches, car le sol est constitué de calcaire, avec de nombreuses couches minces (calcaire stratifié). Cela va simplifier la récupération des dalles nécessaires à l'édification de l'habitation. Par ailleurs, il fallait de toute façon, pour les paysans, retirer toutes ces pierres qui empêchaient le labour. 


intérieur trulli
Exemple d'intérieur : l'église du village avec la même technique que dans les habitations privées. 
 
intérieur trulli
Intérieur d'un trulli privé, avec ce bel encorbellement de pierres calcaires. 


Au XVIème siècle, le royaume de Naples, géré par la couronne espagnole, imposait des taxes pour chaque nouvelle construction dans un centre urbain. Afin d'y échapper, des comtes, propriétaires de la vaste zone autour d'Alberobello, ont imposé aux paysans de construire leurs maisons à sec, sans utiliser de mortier, afin qu'elles soient considérées comme des bâtiments précaires, sans appartenir à une agglomération permanente (on se gardait la possibilité de détruire rapidement les édifices en cas de visite surprise du vice-roi espagnol...). Du coup, les paysans, n'ayant à utiliser que des pierres, trouvèrent la meilleure solution dans la forme ronde des trulli, voire carrée parfois, et un toit en faux dôme composé d'une succession de cercles en pierres superposés. Généralement, le trullo est constitué d'une unique pièce, servant d'abri temporaire dans les champs, voire de lieu de dépôt pour les outils agricoles. Suite au fractionnement du domaine féodal, les habitats de pierre se sont multipliés pour occuper des zones agricoles jadis incultes. Mais au fil du temps, la forme de l'habitation a subi quelques changements, et le trullo s'est parfois vu ajouter plusieurs pièces, avec une principale et d'autres adjacentes plus petites, comme de petites alcôves pour le rangement. Mais toujours le même principe : murs épais et petites fenêtres, le meilleur moyen d'avoir une température assez constante à l'intérieur et de s'isoler de la chaleur torride des étés. Quant à l'intérieur, il est systématiquement le même, avec ce pseudo-dôme, qui n'en n'est pas vraiment un car le toit est une structure autoportante constitué d'une série concentrique de dalles calcaires disposées en marches. La couche intérieure est doublée d'une couche extérieure, la véritable toiture. Au sommet, la clef de voûte est souvent sculptée d'éléments décoratifs à caractère ésotérique ou religieux. 


Alberobello
Une des ruelles du village : les habitats sont contigus, tous recouverts de chaux


Les trulli sont donc nés en tant que construction paysanne, dans laquelle on pouvait entreposer des affaires, et dormir. Les enfants avaient aussi leur petit lit dans les alcôves nées de l'agrandissement de la pièce unique initiale. En fait de lit, c'était souvent un simple matelas de paille. On plaçait de simples rideaux pour séparer les "pièces" ainsi créées. Quant aux poutres en bois disposées transversalement au sommet, et que l'on peut encore voir dans certaines habitations restaurées (voir plus haut à droite la photo d'un intérieur), elles n'avaient aucune fonction structurelle, mais servaient pour y suspendre des aliments, de la vaisselle ou des outils (le sol en terre battue pouvait accueillir des animaux). Afin de créer un semblant d'espace supplémentaire dans cette habitation minuscule, les habitants avaient coutume de placer un grand miroir sur l'un des meubles de la pièce. 


Exemple de symboles ésotériques sur les toits des trulli.
Exemple de symboles ésotériques sur les toits des trulli


En déambulant dans les ruelles, on ne peut pas ne pas remarquer les nombreux symboles peints en blanc sur les dalles calcaire des toits (photo ci-dessus). Ce sont essentiellement des marques apotropaïques, c'est-à-dire des symboles destinés à détourner le Mal, et donc à apporter du bonheur aux habitants. Si les plus anciens remontent à l'Antiquité, la plupart sont de nature religieuse et chrétienne. Pour les plus anciens, avant l'époque romaine, on trouve surtout des motifs géométriques simples : cercles, lignes et points. Ils sont rares sur les trulli actuels. Il existait également des croix gammées, le célèbre svastika, mais ils ont disparu. On trouve aussi des symboles magiques, avec les signes de zodiaque ou des planètes, ainsi que la Lune et le Soleil. Les symboles chrétiens sont les plus nombreux : ils évoluent autour du thème de la croix, des symboles de la Trinité (triangle), du monogramme du Christ et de la menorah juive (candélabre à sept branches). Enfin, dernier groupe de symboles : les dessins ornementaux, qui sont donc très variables en fonction des propriétaires qui peuvent, par exemple, représenter des outils professionnels, comme des cuves pour le raisin. 

détail d'une ruelle Alberobello
détail d'une ruelle


Même l'église d' Alberobello possède une forme en trullo. Consacrée à Saint Antoine de Padoue, elle ne remonte qu'aux années 1925. Avec son plan en croix grecque, elle reprend les caractéristiques des trulli, avec son dôme de 21 mètres de hauteur. 

Eglise Saint-Antoine de Padoue Alberobello
Eglise Saint-Antoine de Padoue, s'intégrant parfaitement dans le village. 

Sur les 1500 trulli d'Alberobello, un rapport de l'Unesco estime que 30% sont désormais utilisés pour le commerce touristique, 30 % pour le logement, et 40 % malheureusement abandonnés. 


Intérieur de l'église, oeuvre d'Adolfo Ugo Rollo.

Ruelle typique. 

Alignement de trulli

Remarquable maquette d'un passionné. 


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